« Il y a trop d’images » écrivait le cinéaste Bernard Émond. Le monde actuel en est saturé de part en part. On peut tout voir sur demande, d’un coin de rue à Lagos aux 3,5 millions d’objets de la collection du British Museum. Chacun est devenu un producteur d’images grâce aux appareils photos numériques et aux téléphones intelligents, et on les accumule par milliers dans nos disques durs. Certaines ne seront peut-être jamais regardées.
Dans ce contexte, le photographe ne fait-il que contribuer au bruit ambiant, participant lui-aussi à inonder le monde de nouvelles images? Ou bien joue-t-il un rôle particulier qui va dans une direction différente?
Le documentaire Le Sel de la terre s’ouvre sur la photographie d’une femme aveugle, prise par le photographe Sebastião Salgado au milieu des années 80. Le réalisateur Wim Wenders avoue l’avoir regardé presqu’à chaque jour depuis des dizaines d’années, ressentant chaque fois une émotion fascinée. Face à la succession des images propre à notre époque, la constatation qu’une image n’est pas condamnée à être remplacée sitôt publiée, puis oubliée, nous fait prendre la pleine mesure du travail différent qui est celui du photographe.
Sebastião Salgado incarne magnifiquement cette figure du photographe jouant aussi le rôle d’acteur social. Son travail de terrain dans les crises humanitaires en Éthiopie et au Sahel, puis dans les conflits dans les pays du Golfe, des Balkans et au Rwanda lui a fait côtoyer le pire de ce que l’être humain est capable. Son travail a permis de faire voir, souvent mieux que les reportages télé et les articles journalistiques, l’étendu des drames humains qui se jouaient. Les photographies, commentées par Salgado dans le documentaire, sont en effet si puissantes que c’en est presque insoutenable.
De cette incursion photographique dans cette fin de siècle, le spectateur peine à sortir indemne. C’est aussi le cas de Salgado qui rompt les ponts avec son travail pour revenir au Brésil et se consacrer au reboisement de sa région natale en compagnie de sa femme. C’est n’est que beaucoup plus tard que de nouveaux projets, cette fois porteurs d’espoir, le font reprendre la route.
Tout le documentaire pose une réflexion sur l’image, son rôle et sa portée. Qu’elle est en effet la place de l’esthétique lorsqu’on est en face de corps décharnés? Sert-elle la cause ou contribue-t-elle plutôt à la mise en spectacle de la misère, confortant le spectateur dans sa position privilégiée? Arrive-t-elle à susciter l’empathie? Ce sont des questions que Salgado lui-même a dû se poser au cours de sa carrière. Le danger est grand de renforcer la frontière artificielle que l’on érige entre Nous et les Autres, celle qui tantôt déshumanise l’Autre, tantôt l’idéalise. Pourtant, il n’existe pas deux espèces humaines, mais bien une seule, capable du meilleur comme du pire.
Une discussion suivra la projection de dimanche et se déroulera au Café Umano à 15h30 en compagnie de gens de plusieurs milieux, portant des regards variés sur la question de la photographie, du journalisme et de l’international.
L’accès est gratuit.
MATHIEU POULIN-LAMARRE