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Tango Negro : une rencontre empreinte de vérité

Quelques heures avant la projection de Tango Negro, les racines africaines du tango, je prépare mon entrevue avec Dom Pedro, réalisateur du documentaire récipiendaire, entre autres, du Premier prix – long métrage à Vues d’Afrique. J’ai déjà hâte de m’entretenir avec lui de ce que je crois être une passion commune, le tango.

« Je suis un amateur de tango dans l’esprit, mais physiquement parlant, je ne sais pas danser le tango. » Je cache ma déception du mieux que je peux, tout ébahie de me trouver en face d’un homme ayant consacré plusieurs années de sa vie à retracer les origines de cette musique et de sa danse, sans l’avoir expérimentée réellement.

Mais pourquoi, si vous ne dansez ni le tango, ni la rumba, avoir choisi de traiter de musique et de danse dans vos films? « D’abord, je dois rectifier quelque chose, me dit-il. Je sais danser la rumba! » Je ris de malaise de n’avoir pas assez investigué à son sujet, et Dom Pedro rit de bon cœur, avant de poursuivre. « Comme j’ai toujours dit : il faut qu’on sache les choses. Personnellement, je me sers de la musique pour traiter autre chose. C’est le cas de la rumba et du tango. Le tango, j’ai choisi cette musique parce qu’il a fallu montrer ses côtés occultés, l’africanité qu’il manquait dans cette musique-là. Peut-être que j’aurais pu le faire sans toucher à la musique du tango, montrer l’africanité en Amérique latine, mais j’ai préféré faire un film sur le tango parce que c’est en lien direct avec cette occultation de l’africanité et parce qu’on n’avait pas seulement occulté la culture africaine : on avait tenté d’occulter la présence africaine dans ce pays-là. Donc, moi, j’ai embrassé ce thème pour traiter de ça et montrer aux autres que nous devons parler, dialoguer ensemble pour rebâtir une nouvelle vision du monde, s’appuyant sur l’universalisme. »

Je commence à mieux saisir mon interlocuteur. C’est un homme du monde. Pour lui, la connaissance de l’histoire permet de se connaître soi-même et de connaître l’autre. Il m’explique qu’on doit rétablir les faits, c’est-à-dire faire savoir à tous qu’il y a eu une présence africaine en Argentine pour que le peuple en ait conscience et qu’il ait une vision juste et véridique de son histoire, de son pays. « La conscience nouvelle devrait commencer par nous les adultes, et pour cela, les adultes qui ne savent pas doivent être rééduqués, pour savoir d’où l’on vient, qu’ils aient la possibilité de donner des repères historiques à leurs enfants. Je suis persuadé que là où il y a de bons repères, qui nous disent que, dans l’histoire, on s’est déjà rencontrés, il y aura moins de méfiance, il y aura plus de confiance, donc il y aura moins de conflits. À partir de là, on se demande comment la guerre viendrait! »

Ce n’est donc pas par hasard que Dom Pedro réalise des documentaires. Animé par une soif de vérité, il utilise son outil cinématographique pour éclairer le public sur ce que l’histoire lui a caché jusqu’à présent : « Les créateurs, notamment les cinéastes, devraient avoir cette conscience de chercher toujours quels thèmes il faut traiter pour contribuer à la connaissance du monde. En tout cas moi, c’est la raison pour laquelle j’ai pu choisir cet angle, de faire des films à vocation historique, non pas pour ennuyer les gens, mais pour contribuer. […] Il faut qu’on soit ensemble, qu’on voie clairement quelle est la vérité de ceci ou de cela ».

Nous continuons la discussion sur le contenu du film. Dom Pedro raconte qu’il a rencontré le protagoniste de son documentaire, Juan Carlos Caceres, grand pianiste et chanteur de tango, parce que lui aussi travaillait à faire reconnaître l’origine africaine du tango. Après leur premier entretien, ils se sont suivis, ont évolué ensemble, sont devenus amis, ils ne se sont plus quittés jusqu’à… il y a quelques jours, le dimanche de Pâques pour être plus précise, alors que son grand ami est décédé. La nouvelle est si jeune, je me demande ce qu’on ressent quand on voit sur grand écran, son ami qu’on a si récemment perdu. Ce sera symbolique pour vous, M. Pedro? « Depuis qu’on a reçu cette nouvelle, c’est la première projection officielle, ça se passe à Sherbrooke, ça se passe au Québec, où les gens ont dans leur tête une certaine révolte, une certaine recherche de solidarité. Donc tout ça mis ensemble, on peut se dire que finalement c’est un bon signe, que cette première projection après le départ de Juan Carlos se passe à Sherbrooke dans le Festival Cinéma du Monde de Sherbrooke, c’est très symbolique. […] Tout était écrit. Ce n’est pas un hasard, parce que c’est le Festival Cinéma du monde. Du monde. », insiste-t-il. « En fait lui, il oeuvrait pour rapprocher de plus en plus le monde, en commençant par réparer des injustices, c’est pourquoi je l’ai toujours appelé le justicier. »

Le soir même, à la fin de la projection de Tango Negro, les racines africaines du tango, Dom Pedro s’est adressé au public, la voix tremblotante: « Maintenant, il faut continuer à faire vivre son engagement, à faire vivre la connaissance qu’il a apportée au monde. » Dom Pedro devient à son tour justicier, s’assurant qu’on se souvienne de Juan Carlos Caceres et de son apport au monde.

MYRIAM QUENNEVILLE

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