On ne pourrait pas trouver de meilleur film que Casse-tête chinois pour ouvrir la première édition du Festival Cinéma du Monde de Sherbrooke. Le dernier film de Cédric Klapisch, qui fait suite à l’Auberge espagnole (2002) et les Poupées russes (2005), se place en plein cœur du monde globalisé, dans le carrefour culturel unique qu’est New York, ce qui donnera immanquablement le ton à un festival qui promet de nous mener sur le chemin de multiples rencontres.
En 2002, lorsque le film l’Auberge espagnole prend l’affiche à La Maison du cinéma, j’ai 16 ans et je ne sais pas encore que ce film me suivra longtemps. Assis dans la salle, au sein d’une foule nettement plus vieille que moi, j’assiste aux problèmes de Xavier (Romain Duris), un étudiant en économie, lors d’une année d’études à l’étranger. Il se retrouve dans «un vrai bordel» – le mot est de lui – un minuscule appartement de Barcelone où se côtoient 7 étudiants qui viennent d’un peu partout en Europe : France, Belgique, Italie, Espagne, Angleterre, Allemagne et Danemark. À son retour en France, marqué à jamais par cette expérience, il quitte son emploi et se consacre à l’écriture.
Douze ans ont passé depuis que j’ai vu ce film pour la première fois. Je regarde rétrospectivement ces années qui m’ont mené en Amérique centrale, au Maghreb, dans l’Océan indien et en Chine, mes études et mes rencontres : l’importance de ce film pour moi et pour ma génération ne m’était jamais apparue aussi clairement. Car je ne suis pas seul, sac au dos, à parcourir le monde. Les jeunes adultes d’aujourd’hui voyagent, s’exportent, vont à la rencontre de l’ailleurs comme jamais auparavant.
Pourtant, l’Auberge espagnole est tout sauf un film qui dépeint le voyage et les relations avec l’Autre avec les lunettes roses de l’exotisme. Il expose bien plus toutes les difficultés que suppose la rencontre interculturelle, en en montrant la complexité ainsi que les incompréhensions et frustrations qui lui sont corollaires.
Le constat est même dramatique : il faut bien plus qu’un langage commun pour espérer pouvoir se comprendre. Et jamais autant qu’aujourd’hui ce besoin a-t-il été si pressant : peut-être est-ce là, avec l’environnement, le grand défi de notre temps.
Tout le film l’illustre, la confrontation avec une autre culture, bien qu’exigeante, est néanmoins extrêmement enrichissante. Dans l’Auberge espagnole, la culture n’est jamais réduite à quelques éléments folkloriques de surface. On la retrouve imperceptiblement dans les interactions complexes entre les individus qui composent la micro-société de l’appartement. La diversité culturelle est ainsi elle-même marquée par d’autres diversités, de genre, de classe, de génération, composant une mosaïque que les films de Klapisch mettent constamment à l’avant-plan, dans le fond comme dans la forme éclatée de l’image. Un casse-tête qui transforme notre rapport au monde et à nous-même.
«Je ne suis pas un, je suis plusieurs, je suis un vrai bordel». Cette phrase que prononce Xavier à la toute fin du film n’est pas le constat d’un échec. C’est au contraire la réalisation de soi à travers de multiples rencontres. C’est, pour ceux qui, comme moi, ont été marqué par ce film, une véritable invitation au dialogue avec l’Autre.
Mathieu Poulin-Lamarre